Bundespräsident Ignazio Cassis. Foto/Photo: TES

La démocratie suisse

Le 98ème congrès de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE) s’est tenu du 19 au 21 août 2022 à Lugano (canton du Tessin). Les thèmes centraux abordés étaient la démocratie et les évolutions européennes et mondiales ainsi que la place et le rôle de la Suisse et des Suisses de l’étranger.

 Les conférences

Quelques 400 participants ont assisté aux diverses conférences et ont eu la possibilité de côtoyer des personnalités suisses de la scène politique, économique et scientifique qui ont présenté leurs conclusions. Les discussions se sont portées sur le fonctionnement et l’adaptation du système démocratique suisse, les « fake news » et la démocratie, le droit de vote des jeunes de 16 ans et le vote électronique. Après l’intervention des experts, les participants ont pu débattre de ces sujets lors de quatre workshops.

Filippo Lombardi, président de l’OSE.

 Discours d’ouverture

Filippo Lombardi, président de l’OSE, a ouvert le colloque le 20 août 2022 en présence de représentants du canton et d’organisations de la société civile.

Dans son discours du 21 août, le président de la Confédération Ignazio Cassis a souligné le caractère unique de la démocratie directe en Suisse et ses défis. Après une brève introduction sur la démocratie européenne et mondiale de 1800 à nos jours, il a souligné que la démocratie était aujourd’hui sous pression. Mais, en dépit des nombreuses incertitudes et crises, il n’y a aucune raison d’être pessimiste à ce sujet.

Il voit cela comme un processus fluctuant avec des hauts et des bas. Aujourd’hui plus de personnes vivent sous des régimes dictatoriaux. Les démocraties libérales ont toutefois un avantage incontestable : elles permettent de corriger les développements erronés et offrent la capacité à s’adapter à de nouvelles circonstances. Il ajoute que l’une des plus grandes forces des démocraties libérales est le dialogue critique avec les citoyens.

Dans le monde global et ses problèmes transfrontaliers, la coopération multilatérale et européenne est aujourd’hui absolument nécessaire. Or, de nombreuses organisations internationales ont été créées à une autre époque et peinent à réformer et à matérialiser cette coopération.

Que cela signifie-t-il pour la démocratie en Suisse et donc pour la « Cinquième Suisse »(terme qui désigne les Suisses de l’étranger) ? La démocratie directe n’est pas tombée du ciel.

Elle est le fruit d’une histoire multiple et complexe, en lien direct avec d’autres aspects de la politique suisse, comme le fédéralisme et le sens du consensus. Elle doit être constamment entretenue et adaptée.

La démocratie n’est pas seulement une démocratie pour le peuple, mais aussi une démocratie par le peuple. Ainsi, bien qu’elle permette au peuple d’exercer directement le pouvoir, il appartient aussi au peuple de prendre soin d’elle.

C’est en s’appuyant sur ce précepte que les experts ont exprimé leurs opinions lors du 98ème congrès de l’OSE et que les participants ont traité ces différents thèmes.

Les Suisses à l’étranger

Selon les données de l’OSE, près de 780’000 Suisses sont établis à l’étranger et environ 450’000 d’entre eux vivent dans des pays de l’Union européenne. Il n’est donc pas surprenant que les relations entre l’UE et la Suisse aient été à l’ordre du jour de ce congrès. En effet, les Suisses de l’étranger craignent pour l’avenir de leur libre circulation au sein de l’Union européenne. Ils ont demandé au Conseil fédéral de définir une stratégie claire et transparente pour assurer son maintien. Selon Filippo Lombardi, ce thème figure en tête de liste des priorités. « Nous voulons que le Conseil fédéral fasse tout son possible pour trouver une solution » a-t-il dit.

Pour les Suisses de l’étranger, le vote par correspondance n’est pas toujours possible car la bonne réception dans les délais appropriés de l’enveloppe contenant le matériel de vote dépend des services postaux locaux et nationaux. Parfois, ce courrier arrive trop tard. Ce problème doit être réglé dans les meilleurs délais.

De plus, le mode d’émigration a changé. Jusqu’en 1960, les Suisses partaient définitivement ailleurs. Aujourd’hui, de plus en plus de Suisses passent un certain temps dans un pays étranger, avant de revenir. Dès lors, chaque année, environ 40’000 citoyens quittent la Suisse et 30’000 y reviennent.

Le vote électronique et les informations sur internet incitent les Suisses de l’étranger à s’engager activement pour leur pays.

 Les étrangers en Suisse

Un aspect intéressant est le parallèle établi par l’un des experts entre les Suisses de l’étranger et les étrangers en Suisse. La plupart des étrangers vivant en Suisse ne possèdent pas de passeport suisse et n’ont donc pas le droit de vote et d’éligibilité, ce qu’il y a cependant lieu de relativiser.

En effet, selon l’art. 37 de la Constitution fédérale « a la citoyenneté suisse toute personne qui possède un droit de cité communal et le droit de cité du canton ». Le droit de cité, depuis des siècles, est donc triple : nationalité suisse, indigénat cantonal et bourgeoisie communale, le citoyen suisse étant bourgeois d’une commune d’origine, éventuellement de plusieurs communes.

Le droit de cité n’est donc pas accordé d’emblée aux nouveaux arrivants, il s’acquiert soit par naturalisation, soit automatiquement quand les conditions prévues par la loi sont remplies. Au XIXème siècle, les citoyens suisses ne pouvaient pas voter dans le canton où ils étaient établis s’ils n’en étaient pas originaires.

Le parallèle a été fait avec le suffrage féminin, également évoqué : le droit de vote et d’éligibilité n’a été accordé aux femmes qu’en 1971, par un corps électoral encore exclusivement masculin. La principale raison de ce retard de la Suisse sur les autres pays européens était l’importance de la démocratie directe dans le système politique. Là aussi, il a fallu rappeler le contexte.

Il s’agit, en tout cas, d’un point important et d’actualité, tout comme le vote électronique, qui comporte également des risques encore imprévisibles et méconnus, la question des fake news et de la démocratie. Le droit de vote des jeunes dès 16 ans fait l’objet de débats nourris car il ne va pas de soi.

Ariane Rustichelli, directrice de l’OSE

Le mot de la fin revenait à Ariane Rustichelli et Filippo Lombardi, respectivement directrice et président de l’OSE. Ariane Rustichelli, a résumé les discussions intervenues. Les cantons sont traditionnellement les jardins expérimentaux de la démocratie – directe. En ce qui concerne le droit de vote passif et actif des étrangers au niveau communal et parfois cantonal, ce sont surtout les cantons francophones qui ont pris les devants.

Quant au vote électronique, il sera d’abord testé dans les cantons, puis la Confédération fixera les conditions dans lesquelles il sera possible de proposer le vote électronique dans le cadre d’un scrutin fédéral. Ainsi, déplore Ariane Rustichelli, l’année prochaine encore, de nombreux Suisses de l’étranger ne se rendront pas aux urnes, car après deux décennies de travail, aucun système de vote électronique n’a encore été introduit de manière pérenne.

Conclusion

Ce 98ème congrès de l’Organisation des Suisses de l’étranger (OSE), bien organisé, a été inspirant et fructueux. La ville de Lugano a également accueilli les 4 et 5 juillet dernier la conférence sur la reconstruction de l’Ukraine, qui s’est achevée sur un bilan positif. Lugano, capitale du canton du Tessin, avait élaboré en 1830 la constitution la plus démocratique de Suisse.

A Locarno, dans le même canton, s’est tenue les 15 et 16 octobre 1925, une conférence internationale qui réunissait les représentants de la France, de l’Allemagne, de la Belgique, de la Grande-Bretagne, de l’Italie, de la Tchécoslovaquie et de la Pologne. Les accords signés visaient à assurer la paix en Europe occidentale. Et avec succès jusqu’en octobre 1929, lorsque survint la crise boursière.

Pour terminer Filippo Lombardi s’est adressé non seulement aux 400 participants au congrès mais aussi aux plus de 780’000 Suisses de l’étranger qui n’endossent pas seulement le rôle d’ambassadeurs mais prennent également activement part à la démocratie directe de la Suisse par le biais des élections et des votations : un gage de leur attachement à leur patrie d’origine.

Et si leur expérience à l’étranger pouvait contribuer à maintenir et, le cas échéant, à adapter et améliorer le système démocratique en Suisse et pourquoi pas inspirer le système politique de leurs pays de résidence ?

Ce qui vaut en Suisse vaut pour les Suisses de l’étranger : la démocratie pour le peuple, mais aussi par le peuple.

La langue romanche

Une petite remarque : la Suisse compte trois langues officielles (italien, allemand et français) et quatre langues nationales avec le romanche, langue la plus ancienne encore parlée dans les Grisons qui fait partie de l’identité suisse.

Les Grisons qui ont émigré à l’étranger aux XVIIIème et XIXème siècles ont gagné leur place dans l’histoire de la Suisse, de l’Europe et du monde, en raison de leurs innovations culinaires et du développement d’hôtels, de restaurants et de cafés de renommée mondiale.

En outre, en tant que canton dans lequel la Landsgemeinde fut jadis pratiquée, les Grisons sont un berceau de la démocratie directe. La langue romanche regroupe cinq idiomes encore parlés aujourd’hui. Une version standardisée du romanche, le rumantsch grischun, a été introduite en 1982 pour apporter aux Romanches une forme écrite commune.

Serait-il envisageable de rendre hommage à la langue romanche lors du prochain congrès de l’Organisation des Suisses de l’étranger ? Certes, une langue minoritaire, mais qui constitue un élément fondamental de l’identité helvétique.

(Plus d’informations: https://www.swisscommunity.org)

Rédaction et révision: Marianne Wyss, écrivain public et traductrice.