Lionza, Palazzo Tondü. Foto/Photo: TES

Le palais Tondü et les ramoneurs du Tessin

Le palais Tondü est l’histoire d’une famille de ramoneurs du Tessin. L’histoire des nombreux Zuckerbäcker des Grisons et de leur renommée mondiale est bien connue.

Cependant, la plupart de ces émigrants ont connu ussi une existence pauvre. Seule une petite minorité s’est enrichie grâce à des hôtels, des restaurants, des cafés, des pâtisseries ou, par exemple, des brasseries dans les villes d’Europe,  d’Amérique du Nord et d’Amérique du Sud. Quelques-uns sont retournés dans leur village d’origine dans les Grisons et ont construit des palais ou des Grand Hotels.

Il en va de même pour les mercenaires suisses. Les organisateurs, certaines familles importantes des villages ou des villes, ont accumulé une grande richesse, une grande renommée et un grand prestige (militaire), et parfois même un rang militaire jusqu’aux plus hauts cercles papaux, impériaux, royaux, princiers et coloniaux d’Europe.

Cette industrie était étroitement organisée. Les organisateurs passaient des contrats avec les souverains d’autres pays européens. Les mercenaires, pour la plupart des fils de paysans, constituaient la marchandise.

Ramoneurs

L’histoire du Zuckerbäcker ou du Söldner est une partie bien connue de l’histoire suisse. Il en va différemment de l’histoire des spazzacamini, pluriel de spazzacamino, ou ramoneurs (Kaminfeger) du Tessin.

L’émigration des ramoneurs de Lombardie et du Piémont (Italie) est bien connue. En revanche, le fait que de nombreux ramoneurs italophones soient originaires du Tessin n’a guère été mis en évidence.

En Suisse, cette histoire méconnue est restée pratiquement inconnue jusqu’à récemment. Après 1945, cette industrie était terminée, mais les (grands) parents et leurs descendants avaient honte de « vendre » leurs (jeunes) fils et le sujet est resté longtemps tabou.

C’est grâce à certains musées suisses (dont le Museo di Val Verzasca à Sonogno et le Museo Regionale Centrovalli-Pedemonte à Intragna) que cette histoire a été documentée à partir de 2000.

Lisa Tetzner (1894-1963) a publié en 1940 déjà le roman Die schwarzen Brüder. Abenteuer eines Tessiner Bergbauernjungen (Aarau, 1940) et Elisabeth Wenger (1946) en 2010 la publication historique Als Lebender Besen im Kamin. Einer vergessenen Vergangenheit auf der Spur (Books on Demand, BoD 2010).

Les familles nombreuses, comptant parfois de 10 à 15 enfants, ne pouvaient pas subvenir à leurs besoins. Même les pères travaillaient souvent comme ramoneurs en hiver et comme ouvriers agricoles ou ouvriers d’usine pendant les mois d’été. Avec l’argent gagné, la famille du village pouvait à nouveau être nourrie pendant un certain temps.

Un ramoneur et son padrone, 1870. Photo: Museo di Val Verzasca, Sonogno 

Les garçons de six à douze ans étaient petits et pouvaient facilement descendre dans les cheminées étroites pour les nettoyer et les débarrasser de la suie. Les parents n’avaient souvent pas d’autre choix que de faire travailler leurs (très) jeunes fils pour les Padroni, qui envoyaient leurs enfants en Lombardie, au Piémont, aux Pays-Bas, en allemagne, en Autriche, en France, en Angleterre ou même en Amérique et en Russie notamment pour ramoner les cheminées sous leur supervision. Les débuts de cette industrie remontent probablement au XVème siècle. Les premiers documents datent du XVIème siècle.

La plupart des ramoneurs venaient des vallées de Centovalli, Verzasca, Vigezzo et Maggia, près de Locarno. Le célèbre chroniqueur Aegidius Tschudi de Glaris parle de la vallée Vigezzo (en partie Tessin, en partie Lombardie) en 1538 : « im Tal Vejetz sind alle Kaminfeger, die nach Neapel, Sizilien, Frankreich und Tütschland reisen » ( Aegidius Tschudi, Die uralt wahrhaftig Rhetia, Basel 1538).

Un autre chroniqueur rapporte : « …das Kaemifaegertal, das man nennet Vallis Vegetia. Daraus kommend gemeinlich alle Kaeminfaeger, die durchziehend aller lender des gantzen Europae… » (Johannes Stumpf, Gemeiner loblicher Eydgenossenschaft Stetten, Landen und Völckeren Chronik wirdiger thaaten beschreibung (Zurich 1548).

Johannes Stumpf, Gemeiner loblicher Eydgenossenschaft Stetten, Landen und Völckeren Chronik wirdiger thaaten beschreibung (Zürich 1548). Collection: Zentralbibliothek Zürich

 Johannes Stumpf, Gemeiner loblicher Eydgenossenschaft Stetten, Landen und Völckeren Chronik wirdiger thaaten beschreibung (Zurich 1548). Collection : Zentralbibliothek Zürich (legenda)

Sur une carte du milieu du XVIème siècle, Centovalli est même appelé Käminfegertal (Giulio Rossi-Eligio Pometta, Storia del Cantone Ticino (Locarno 1980). De 1512 à 1798, le Tessin était un territoire sujet  (Untertanengebiet) de la Confédération et était gouverné par des bailiffs des cantons.

Les padroni étaient les organisateurs de cette industrie pour les ramoneurs. La branche, comme celle des mercenaires, appartenait à quelques familles dans les villages.

Les parents concluaient des contrats saisonniers de novembre à avril pour leurs fils en Lombardie ou au Piémont. Pour les pays lointains il s’agissait de contrats de cinq ans. Pendant les mois d’été, ils travaillaient dans des fermes, des usines (textiles), des ménages ou d’autres destinations.

Les parents recevaient de l’argent pour cela (la moitié payée à l’avance, l’autre moitié à la fin du contrat). De plus, il y avait alors moins de bouches à nourrir à la maison, ce qui impliquait souvent plusieurs fils par famille.

La pauvreté était telle qu’un écrivain disait de son enfance : « nous mangions des châtaignes le matin, des châtaignes l’après-midi et des châtaignes le soir ». En fait, il s’agissait de travail des enfants et d’esclavage, avec des semaines de sept jours, un travail très malsain et dangereux, avec des padroni  impitoyables. De nombreux enfants, souvent très jeunes, n’ont pas survécu, seuls quelques-uns ont pu améliorer leur niveau de vie et encore moins ont pu s’enrichir.

Lionza

Palazzo Tondü à Lionza

Mais il y a aussi des histoires d’ascension sociale rapide et de richesse. Le palais de Lionza de la famille Tondutti, dans la vallée des Centovalli, en est un exemple. Le père Giuseppe Tondutti et ses deux fils, Andrea, 13 ans, et Antonio, 7 ans, se rendent à Parme en octobre 1630 pour ramoner les cheminées. Le destin les a conduits à la villa du riche banquier Marini. Mais Giuseppe s’étouffe dans la cheminée parce qu’un domestique a allumé le four de la cuisine, ignorant que le ramoneur était en activité.

Le banquier et sa femme sans enfants adoptaient Andrea et Antonio. Ce fut le début d’une carrière rapide dans les plus hautes sphères de la noblesse et, dès 1650, les frères construisirent leur palais à Lionza. Les descendants n’y ont pas vécu en permanence et, en 1784, le chevalier Ferdinando Tondü a fait don du palais à la municipalité de Lionza.

En 1984, la fondation Casa Tondü a été créée pour rénover le complexe. Les Tondutti n’étaient pas les seuls. D’autres palais ont également été construits par d’anciens ramoneurs. L’origine de ces spazzacamini est reconnaissable aux nombreuses cheminées qui ornent les bâtiments.

En général, ils ou leurs descendants  avaient commencé comme ramoneurs et étaient devenus padroni. Toutefois, cette origine reste moins prestigieuse que la réussite d’un Zuckerbäcker ou d’un Söldner au service militaire à l’étranger.

(Source: Elisabeth Wenger,  Als Lebender Besen im Kamin. Einer vergessenen Vergangenheit auf der Spur, Books on Demand, BoD 2010; Guido Fiscalini, I Tondù di Lionza (Museo Regionale Centrovalli-Pedemonte in Intragna, 1998).

Lionza, la chapelle de la famille Tondü

L’ église St. Antonio da Padova, 17ème siècle

Bâle, Unterer Heuberg, le ramoneur