Fribourg, Freiburg, paix perpétuelle, 29.11.1516. Photo/foto: TES.

La France, la Suisse et la paix perpétuelle de 1516

Les relations entre la France et la Suisse présentent de nombreuses facettes. On estime qu’aujourd’hui plus de 200 000 Français résident en Suisse auxquels s’ajoutent près de 175 000 frontaliers qui y travaillant durant la semaine. Et la plupart des Suisses de l’étranger vivent en France.

La France est le quatrième pays importateur de la Suisse, tandis que la Suisse se classe parmi les dix premiers pays partenaires économiques de la France.

En outre, il existe de nombreux contacts culturels, scientifiques, sociaux et politiques entre la France et la Suisse. Et 1,5 millions de Suisses romands parlent français.

L’histoire fournit aussi des indices sur la relation entre la France et la Suisse avec ses hauts et ses bas. Officiellement, les deux pays entretiennent d’excellentes relations d’amitié. Mais dans les faits les relations restent chargées de ressentiments et d’incompréhension.

XVème siècle

Au XVème siècle, la Suisse n’existait pas encore comme unité politique et le royaume français, beaucoup plus petit à l’époque, était affaibli militairement, culturellement et politiquement par les ducs de Bourgogne et les Habsbourg et (leur) Saint-Empire romain de la nation germanique.

L’Alsace, la Lorraine, la Franche-Comté et la Savoie ne faisaient pas (encore) partie du royaume de France. La Réforme (1517) n’avait pas encore divisé la Suisse et la France.

Pendant la guerre franco-anglaise de Cent Ans (1337-1453), éclata l’Ancienne guerre de Zurich, qui opposa le canton de Zurich, soutenu par les Habsbourg, aux sept autres cantons suisses : Uri, Schwytz, Nidwald, Obwald, Glaris, Zoug et Berne entre 1440 et 1446. Le canton de Zurich réclamait le territoire du Toggenburg qui s’étendait à l’est de Zurich, de la Thurgovie à Glaris.

Dans le cadre de l’Ancienne guerre de Zurich eut lieu en juillet 1443 la bataille de Saint-Jacques sur la Sihl près de Zurich entre les Confédérés et les Zurichois. Les troupes zurichoises furent vaincues. Un armistice intervint et dura d’août 1443 à avril 1444.

Puis, Frédéric III demanda à Charles VII d’attaquer les Confédérés anti-zurichois, ce qui engendra la bataille de la Birse, autre épisode de l’Ancienne guerre de Zurich, qui opposa les Suisses aux Français en août 1444. Ainsi, le roi de France envoya ses Écorcheurs en Suisse.  Les Suisses gagnèrent la bataille et le Dauphin décida de se retirer de Suisse

Le roi de France, impressionné par la force et la mentalité des soldats suisses décida de signer un traité de paix entre la Confédération des VIII Cantons et la France après cette bataille, nommé la paix d’Ensisheim (octobre 1444).

Un million de soldats suisses

Ce fut le début d’une relation amicale de près de 350 ans, jusqu’à l’invasion de Napoléon en 1798. D’ailleurs, près d’un million de soldats suisses – appelés des mercenaires – servirent dans l’armée française. Et ce fut le « premier produit » exporté par la Confédération pendant plusieurs siècles.

La paix perpétuelle

En 1453, entre le roi de France Charles VII (1403-1461) et les Suysses fut établi le premier traité de paix perpétuelle non plus avec chaque canton en particulier, mais avec la Confédération des VIII Cantons.

Ce traité sera respecté avec une grande régularité jusqu’en 1798.

Ainsi, l’intérêt de la France résida dans le fait de pouvoir recruter des mercenaires suisses, très appréciés à l’époque et d’avoir un voisin neutre. Et l’avantage pour la Confédération suisse était de pouvoir offrir aux commerçants suisses l’accès au marché français et de leur permettre de bénéficier d’une position privilégiée par rapport aux commerçants étrangers.

Cette alliance devint une bénédiction pour la France lorsque la Confédération suisse vainquit le puissant duc de Bourgogne en 1476 durant les batailles de Grandson et de Morat, communes qui devinrent bailliage commun de Berne et Fribourg.

Lors de la bataille de Nancy (1477), Charles le Téméraire fut tué, ce qui étouffa les ambitions du duc de Bourgogne. Maximilien de Habsbourg (1459-1519) profita, de son côté, de son mariage avec Marie de Bourgogne (1457-1482), fille de Charles le Téméraire et héritière des riches domaines bourguignons.

Ce n’est qu’au début du XVIe siècle que la paix perpétuelle a été mise à l’épreuve lorsque plusieurs cantons voulurent contrôler la vallée du Pô dans le nord de l’Italie et le duché de Milan.

La bataille de Marignan

La situation internationale compliquée entre le Pape, les Habsbourg et la France conduira à des défaites contre le roi de France en septembre et octobre 1515.

A l’issue de la bataille de Marignan le roi de France reconnut l’importance d’une bonne relation avec la Confédération suisse et un autre traité de paix perpétuelle fut signé le 29 novembre 1516 à Fribourg.

Les véritables débuts d’une alliance franco-suisse seront formalisés dans le traité de Lucerne, conclu le 5 mai 1521.

Cette bataille révéla la division des cantons suisses. Préalablement, la Confédération suisse avait vécu un succès militaire lors de la guerre de Souabe (Schwabenkrieg) contre les Habsbourg en 1499.

Du fait de sa rivalité avec les Habsbourg, la France avait tout intérêt à ce que la Confédération suisse soit neutre et stable, surtout qu’elle lui fournissait des mercenaires, d’ailleurs source importante de revenus pour les cantons suisses et leurs élites. Et les Bernois ne furent pas contrariés par la France lorsqu’ils entrèrent dans le Pays de Vaud en 1536 au détriment du duché de Savoie.

1798-1815

La Réforme compliqua la situation, mais d’une manière générale la paix perpétuelle et les bonnes relations entre la Suisse et la France durèrent jusqu’en 1798.

De nombreux habitants des cantons suisses et surtout des territoires concernés (Argovie, Grisons, St-Gall, Tessin et Thurgovie) eurent donc de la sympathie pour les « armées de libération » françaises, malgré le massacre du 10 août 1792 des gardes suisses aux Tuileries, à Paris alors qu’ils défendaient Louis XVI. (Le monument du Lion (Löwendenkmal) à Lucerne a été érigé en hommage aux gardes suisses disparus).

En effet, sous la direction française (Napoléon Bonaparte) avait pris fin la souveraineté des cantons (République helvétique 1798-1803) et suite à un acte de médiation ce fut le début de la Confédération des XIX Cantons (1803-1813), qui a finalement conduit à la création d’un Etat fédéral suisse en 1848.

La France joua également un rôle important pour la Confédération suisse qui acquit une reconnaissance internationale définitive en 1648 dans le cadre de la paix de Westphalie et le 9 février 1801 la France napoléonienne signa avec l’Autriche à Lunéville le traité qui allait définitivement séparer l’Helvétie et la maison de Habsbourg. En 1802 eut lieu l’intégration au canton d’Argovie du Fricktal territoire autrichien cédé à la France par le traité de Lunéville en 1801.

Seule la commune de Rhäzüns (canton des Grisons) resta officiellement propriété des Habsbourg jusqu’en 1819.

La période française 1798-1813, suivie du Congrès de Vienne (1814-1815) et des traités de paix ultérieurs ont jeté les bases de la neutralité suisse et de la Suisse d’aujourd’hui.

(Source: G. Miège, A.-J. Tornare, Suisse et France. Cinq cents ans de Paix Perpétuelle 1516-2016, Freiburg 2016).

Rédaction et révision: Marianne Wyss, écrivain public et traductrice.