Bibliothèque publique de Neuchâtel, l’exposition: Pourquoi parle-t-on le français en Suisse romande ? Neuchâtel, 2022

La Suisse romande, le latin, le patois et le français

Aujourd’hui, le français est la langue officielle – écrite et orale – en Suisse romande. Les cantons de Neuchâtel, du Jura, de Vaud et de Genève sont uniquement francophones et les cantons de Berne/Bern, Fribourg/Freiburg et Valais/Wallis sont bilingues, à la fois francophones et germanophones. Mais cette unité linguistique actuelle recèle une grande diversité.

Le français, qui fit progressivement son apparition après les XIème et XIIème siècles en Suisse, fut en concurrence avec le latin et les dialectes locaux – des patois – pendant des siècles.

La langue française ne s’est imposée en Suisse romande qu’au XIXème siècle. Cependant, le patois a laissé des traces dans le français régional romand, raison pour laquelle la langue employée à Neuchâtel, Genève, Lausanne (canton de Vaud), Porrentruy (canton du Jura), Fribourg ou Berne (avec Bienne et le Jura bernois) comporte des différences.

Le Moyen Age

La culture et la langue gallo-romaines restèrent prépondérantes en Suisse occidentale longtemps après le départ des Romains au Vème siècle. La langue utilisée sur ce territoire gallo-romain étant le francoprovençal, la population ne parlait pas le français. Cependant, les différences locales entre les patois étaient importantes.

Dans l’actuel canton du Jura et dans le nord de la Franche-Comté (France) était parlé le franc-comtois un dialecte de la langue d’oïl, une langue romane. Le latin était la langue écrite, la langue de l’église et de l’élite. Ces langues furent maintenues dans le premier royaume de Bourgogne (443-534) et les royaumes francs.

L’allemand

La langue germanique des Alamans devint dominante en Suisse romande à partir du Vème siècle.

La première expansion de la langue alémanique se situe entre le Vème et le IXème siècle. Elle a conduit à la germanisation du Haut-Valais (Oberwallis) jusqu’au district de Brigue, de la rive gauche de l’Aar dans l’Oberland bernois (Berner Oberland), de la rive droite de la Singine et de la région autour du lac de Bienne (Bielersee).

La deuxième expansion germanophone eut lieu du XIème au XIIIème siècle dans les districts de Viège et de Rarogne par les Walser et sur la rive gauche de la Singine, dans la région de Morat (Murten), dans le Pays des Trois Lacs (le Seeland) et sur la rive gauche du lac de Bienne par les Alamans.

L’Armorial de Jacques Huguenin (1642-1728).  

Les XVIème et XVIIème siècles

Ce n’est qu’au XVème siècle que les premiers textes littéraires en langue française apparurent en Suisse romande tandis que la littérature en patois n’émergea qu’au XVIème siècle.

Trois variétés linguistiques existaient encore en Suisse romande au début de la Réforme protestante, entamée durant la première moitié du XVIème siècle. Seuls le patois et ses nombreux dialectes locaux étaient usités par la plupart des habitants. Le français gagna en importance au cours de cette période, notamment au sein de l’élite urbaine protestante.

C’était une langue de prestige, de l’écrit – la Bible – et de l’érudition. Le latin était principalement la langue de rédaction des documents juridiques ainsi que celle des universités, des savants et de l’église catholique. Avec la Réforme, l’importance du latin dans les cantons protestants déclina rapidement.

Gustave Revilliod (éd), La Petite Chronique de Jeanne de Jussie, Levain du calvinisme ou commencement de l’hérésie de Genève, Genève 1853.

Les langues parlées issues du patois et du français continuèrent à coexister pendant longtemps, même bien après l’arrivée des huguenots français en Suisse au XVIIème siècle.

Les XVIIIème et XIXème siècles

Cependant, la situation changea à la fin du XVIIIème siècle et à l’époque française. Le français devint ainsi la langue courante dans la vie quotidienne, l’enseignement et au sein du gouvernement en Suisse romande.

Dès la seconde moitié du XIXème siècle, le patois disparut dans les zones urbaines et industrialisées protestantes : cantons de Genève, Vaud, Neuchâtel et du Jura bernois. Le français remplaça aussi le latin, excepté dans l’église catholique.

Dans d’autres cantons, le patois a persisté plus longtemps, parfois jusqu’à ce jour, comme dans le Val d’Hérens en Valais. Il s’agit de la dernière région de Suisse romande où le patois est encore, pour une partie de la population, la langue de tous les jours. Il occupe aujourd’hui en Valais une place aussi particulière que l’allemand parlé dans ce canton.

En 1866, Louis Gauchat (1866-1942), linguiste suisse, créa le Glossaire des patois de la Suisse romande, qui désigne aussi bien l’institution fondée en vue de la publication d’un dictionnaire que cet ouvrage qui porte le même nom.

Pendant près de dix ans, il enquêta sur les caractéristiques et la vitalité de chaque patois et recueillit un maximum d’informations par le biais de questionnaires. Il reçut plus de 500’000 réponses ! Son glossaire, sans cesse complété, constitue une source inestimable de connaissances sur le patois.

Louis Gauchat. Photo: Wikipedia

Les XXème et XXIème siècles

Aujourd’hui, le français est la langue pratiquée en Suisse romande et le patois n’est plus parlé que dans certains villages des cantons du Valais, de Fribourg et du Jura.

L’Atlas linguistique audiovisuel des dialectes francoprovençaux du Valais romand (ALAVAL)

Cependant, des marques de patois demeurent dans la langue française, les noms de lieux et les noms de famille de tous les cantons. Le latin est encore enseigné au gymnase et à la faculté des lettres de l’université.

Le Conseil fédéral a approuvé lors de sa séance du 7.12.2018 le septième rapport de la Suisse sur l’application de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires du Conseil de l’Europe. Avec ce rapport le Conseil fédéral reconnaît le franco-provençal et le franc-comtois comme langues minoritaires.

(Source : A. Paravicini Bagliani, J.-P. Felber, J.-D. Morerod, V. Pasche, Les Romands au Moyen Age, Lausanne 1997); Bibliothèque publique de Neuchâtel, l’exposition: Pourquoi parle-t-on le français en Suisse romande ? Neuchâtel, 2022

Rédaction et révision: Marianne Wyss, écrivain public et traductrice.