Le Canal d'Entreroches, Orny. Foto/Photo: TES.

Gloire néerlandaise

Élie Gouret (1586-1656), un gentilhomme huguenot, était établi dans la République des Provinces-Unies – alliant suite à l’Union d’Utrecht, traité signé en 1579, les sept provinces (calvinistes) des Pays-Bas septentrionaux (Hollande, Zélande, Utrecht, Frise, Groningue, Gueldre et Overijssel) – et faisait des affaires en Suisse et en France.

En 1636, il soumit aux autorités du canton de Berne un projet visant à relier le Rhin au lac Léman via l’Aar, le lac de Bienne et le lac de Neuchâtel.

Elie Gouret voulait construire un canal reliant Yverdon à Morges (canton de Vaud), qui présentait un intérêt stratégique du fait qu’il contribuait à la réalisation d’une voie de navigation commerciale entre le Rhin et le Rhône.

L’une des conditions était que le Rhône fût rendu navigable entre Genève (Suisse) et Lyon (France). Il prévoyait de réaliser également ce tronçon en creusant un canal latéral le long du Rhône partant de Bellegarde aboutissant à Seyssel, pour franchir les Pertes du Rhône (régions françaises), projet qui permettait de relier la mer du Nord à la mer Méditerranée.

La République, notamment les villes et particulièrement la ville d’Amsterdam de la province de Hollande, l’une des sept provinces de la République, était très intéressée par ce projet.

Cette nouvelle voie navigable représentait un grand avantage pour le commerce puisqu’elle écartait les risques inhérents aux voies maritimes (tempête, pirates, pays hostiles).

En effet, cet itinéraire sûr entre les Pays-Bas et la Méditerranée traversait des pays pour la plupart complaisants – puisque protestants – tels que les principautés allemandes, les régions suisses dont les cantons de Berne et de Bâle, le Pays sujet de Vaud, la ville souveraine de Genève et la principauté de Neuchâtel, française mais protestante. Les protestants étaient également nombreux dans la vallée du Rhône et le sud de la France, avant la révocation de l’Edit de Nantes en 1685.

La Société du Canal, créée par Élie Gouret, comportait 19 % de parts hollandaises, 10 % de parts françaises, 16 % de parts genevoises et 55 % de parts bernoises et vaudoises.

Le 10 février 1637, le gouvernement bernois autorisa la Société à construire et à exploiter le canal d’Entreroches. La convention établie le 16 mars 1637 stipula, entre autres, que le péage serait de 11 florins par voiture pour les citoyens bernois et de 14 florins pour les autres citoyens.

Les travaux commencèrent en 1638 sous l’administration d’ingénieurs hollandais. Deux ans plus tard, le 12 avril 1640, le premier tronçon, entre Yverdon et Orny (canton de Vaud) était achevé.

Le canal a été conçu selon les normes de l’époque, soit 5,28 mètres de largeur au niveau de l’eau, 2,93 mètres au fond, avec une profondeur de 2,35 mètres. Huit écluses régulaient ce bief – portion de canal entre deux écluses – de 17 kilomètres, comblant une différence de niveau de 16 mètres.

En 1648, le deuxième tronçon de 8,4 kilomètres d’Orny à Eclépens (canton de Vaud) a été mis en service et en 1656 la petite ville de Cossonay (canton de Vaud) a pu être atteinte par la cluse d’Entreroches. Il restait alors 12,5 kilomètres jusqu’à Morges, mais cette partie du canal n’a jamais été achevée et le transport vers le lac Léman s’effectuait par voie terrestre.

Pendant près de 190 ans, le canal d’Entreroches, d’Yverdon à Cossonay, d’une longueur de 25 kilomètres, a été exploité avec succès. Les barges de transport, de conception néerlandaise, ont été fabriquées à Thoune (canton de Berne), puis à Yverdon. Elles mesuraient 19 mètres de long et 3,5 mètres de large et pouvaient transporter chacune 25 tonnes de marchandises. Les bateaux étaient tirés par des chevaux à partir des chemins de halage établis sur les berges.

Des milliers de barges transportant des tonnes de marchandises ont transité par le canal d’Entreroches, dans le canton de Vaud. Le canal a joué un rôle fructueux dans le développement économique de la Suisse et de ses échanges avec les Pays-Bas et Lyon (France).

L’exploitation du canal prit fin en 1829.  En 1872, le canton de Vaud racheta le canal d’Entreroches pour assurer le drainage de la plaine. Plusieurs fois, le projet de rénover et, surtout, de terminer le canal fut échafaudé, mais jamais réalisé.

Le canal d’Entreroches est aujourd’hui désaffecté. Les parties visitables dans la cluse ont été partiellement restaurées et sont présentées au long d’un parcours de randonnée pédestre qui mène à la Maison du canal (monument classé), à Orny. Cet ancien logis du commis responsable du port et de l’écluse d’Entreroches était aussi une auberge. C’est le témoin silencieux de cette remarquable histoire.

(Source : documentaire : Pierre-André Vuitel, La fabuleuse avarie du canal d’Entreroches, 2014 ; Lexique Historique de la Suisse, canal d’Entreroches (hls-dhs-dss.ch).

Rédaction et révision: Marianne Wyss, écrivain public et traductrice